Sans surprise, la première application de la géométrie et de la géographie sacrées au mystère de Rennes se trouve chez Pierre Plantard1, dans Les Templiers sont parmi nous. L’énigme de Gisors de Gérard de Sède (en 1962). Il s’agit d’une carte de la France « hermétique », centrée sur Bourges et découpée en treize parties, qui est en elle-même tout un programme2.
En apparence, du moins, Plantard semble déjà procéder à ces petits jeux d’esprit (généralement basés sur l’analogie inverse) destinés à signifier la vérité plutôt qu’à la montrer3. Sur sa carte, un triangle relie Gisors, Jarnac (en Charente) et Montrevel (en Bresse), qui affiche les remarquables mesures de 1 300 km de périmètre et de 81 000 km2 de surface…, si la pointe de Montrevel glisse à quelques kilomètres, précisément sur la petite chapelle du château en ruines de Dramelay. D’autant qu’il y a un Montrevel et un Montrevel-en-Bresse à peu de distance : lequel choisir ? Aucun, puisque c’est Dramelay — pas le village ni le château mais la chapelle de Dramelay — le troisième point, grâce auquel le triangle a des mesures exactes au kilomètre près. (Et sans surprise non plus, Dramelay est un ancien site templier, fief du quatrième Maître de l’Ordre du Temple, Bernard de Tramelay, mort en 1153.)
Plantard le savait-il ? Son commentaire de cette carte invite à en douter4. Mais peu importe, car il y a mieux : si l’on cherche à tracer un triangle miroir du premier, de dimensions égales ou quasi égales, en plaçant la troisième pointe à Opoul-Périllos, sur la fameuse petite chapelle Sainte-Barbe, on aura l’étonnant périmètre de 1 404 404 yards.
Voici donc, d’ores et déjà et quoi qu’il en soit, tout le mystère de Rennes condensé ici — dans sa part historique et politique tout du moins : car de Gisors on va ainsi directement à Périllos, tout comme le fit André Malraux (ministre de la Culture du général de Gaulle), en 1964, qui, après avoir récupéré les trente sarcophages de la crypte de Gisors, s’enquit en vain, auprès des services espagnols (qui refusèrent au motif du secret défense), des plans des réseaux d’eau souterrains de la forteresse de Salses, située juste en contrebas d’Opoul-Périllos, et qui garde l’entrée de la Font d’Estramar, la fantastique réserve d’eau douce (la plus grande d’Europe) qui s’étend sous les Corbières et les Pyrénées catalanes, et qui joue un rôle si fondamental dans le mystère de Rennes. (Voilà ce que Plantard semble avoir ignoré, lui qui non seulement ne mentionna jamais Périllos, mais resta jusqu’au bout focalisé sur le secteur Cardou-Blanchefort-Rennes-les-Bains, avec une insistance toute particulière sur le roc Nègre de Blanchefort, sur lequel Geneviève Béduneau affirmait que Plantard avait jeté un sort, c’est-à-dire implanté un égregore.)
Or voici qui est frappant : la ligne reliant Gisors à Périllos — et non pas, cette fois, la chapelle Sainte-Barbe mais l’église Saint-Michel du hameau de Périllos — a l’étonnante longueur de 444 miles.
Ce n’est pas tout : le losange ainsi formé par Gisors, Dramelay, Périllos et Jarnac, a un périmètre de 1 688 km. Nous y voilà : un, six et huit, les chiffres de Phi : 0,618, la proportion dorée, la clef de l’Univers, omniprésente dans le mystère de Rennes (ainsi que dans tout mystère réellement initiatique). Tel est le code numérique ultime auquel renvoie et aboutit toute la prodigieuse architecture subtile qui s’étend et se déploie ainsi sur les terres de France et du monde entier.
Autre excellent exemple, tiré lui aussi de la carte de Plantard : le triangle Jarnac-Dramelay-Périllos se double, pour former un magnifique sceau de Salomon, d’un improbable triangle (de surface quasiment identique) reliant la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, la petite église Notre-Dame de la Baume (près de Sisteron) et la petite église Saint-Martin de Cazaux-Villecomtal (dans le Gers), qui a un périmètre de… 1 440 144 yards.
Vous avez dit « apocalyptique » ?
Ainsi, la première image publiée par Plantard dès 1962 dans le best-seller de Gérard de Sède sur « l’énigme de Gisors » contient-elle, d’entrée de jeu et à elle toute seule, toute la marche à suivre dans le mystère de Rennes-le-Château, avec la géométrie sacrée comme moyen et le Nombre d’Or comme guide. Autrement dit, « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », tant il est vrai, comme disait Platon, que « la géométrie attirera l’âme vers la vérité et créera l’esprit de la philosophie ». Voilà qui résume bien l’esprit du mystère de Rennes !
J’ai entrepris de faire un point sur cette question — qui, toutefois et par principe, ne saurait connaître de fin —, dans le but de l’élargir et de l’approfondir autant qu’il sera possible, avec la publication des dizaines de figures géométriques (triangles, pentagrammes, hexagrammes, losanges ou rhomboïdes) ordonnées, non plus seulement aux environs immédiats de Rennes-le-Château, mais aux Pyrénées entières, et bien au-delà, en France, en Europe et jusqu’en Égypte, ainsi qu’à Jérusalem. Des figures, par-dessus le marché, — comme je viens de le montrer à partir du triangle Gisors-Jarnac-Montrevel — qui ont des dimensions (périmètre, surface) exprimées, dans différentes unités de mesure (yard, kilomètre et mile), par des nombres symboliques et traditionnels à dimension cyclique et apocalyptique, comme 144 et 666 (issus de l’Apocalypse de Jean), et à dimension gnostique, proprement ésotérique et initiatique — à vocation non pas spéculative mais opérative —, puisque ces valeurs (144 et 666, entres autres) traduisent non pas des quantités mais des qualités, c’est-à-dire des états d’être et des niveaux de conscience.
Toute cette immense architecture subtile en effet, cette superstructure vibratoire à la fois gigantesque et ultra-fine, ajustée au Nombre d’Or, harmonisée aux rythmes astrophysiques et aux cycles cosmiques, superposée, combinée, intriquée au territoire, aux paysages, aux montagnes, aux sources et aux monuments, semble manifestement destinée — telle sera du moins mon hypothèse — à préfigurer la Jérusalem terrestre et la « nouvelle terre » annoncées dans l’Apocalypse.
Rendez-vous donc le 29 juillet, à Bugarach, pour la révélation des Pyrénées.
- Pierre Plantard, on le sait, fut dépositaire du dossier qu’avait constitué l’évêché de Carcassonne sur Saunière, dit dossier Boyer, du nom de l’évêque d’alors, qui en a remis un exemplaire à Noël Corbu, grâce à qui Plantard entra ensuite en sa possession, avant de s’en servir et d’en distiller les pièces et les données, par auteurs interposés (Gérard de Sède, puis les trois Anglais de L’Enigme sacrée). Dans quel but ? Selon toute vraisemblance, à des fins d’intox et de diversion, sous la coupe et pour le compte des services d’Etat qui utilisèrent les milieux paramaçonniques à la marge du gaullisme, comme la loge Willermoz à Lyon (où se mêlèrent, non sans une étonnante naïveté, nationalisme occidental et occultisme, à la façon d’un Robert Ambelain) pour capter et détourner, au profit du général de Gaulle et du gaullisme, la fausse prophétie du « Grand Monarque » ainsi que ses nombreux adeptes. (Voir le rôle joué par Plantard au sein des Comités de salut public pour le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, épisode documenté par Baigent, Leigh et Lincoln dans Le Message.) Par la suite, le pauvre Plantard, après avoir été au service de la farce mérovingienne et christo-magdalénienne en laissant croire qu’il pouvait prétendre au titre de « Grand Monarque », fut sèchement réduit au silence par les services de François Mitterrand, en 1993, jusqu’à devoir déclarer au juge Thierry Jean-Pierre qu’il n’avait, dans cette histoire, écrit et dit que des mensonges, alors même qu’il n’a fait, en toute rigueur, qu’utiliser des pièces et des données quant à elles parfaitement exactes et authentiques — et sur lesquelles une déplorable suspicion fut ainsi jetée, engendrant pour les années à venir la cacophonie et une effroyable zizanie dans le milieu des chercheurs de Rennes. (Pour les aperçus biographiques sur Plantard, cf. Geneviève Béduneau, ainsi que Bernard Fontaine, dans Terre de Rhedae n° 11, Rennes-le-Château, 2018, pp. 4-11.) ↩︎
- Image publiée au début de l’Annexe I, « Point de vue d’un hermétiste » (p. 323 de la réédition Julliard de 1969). ↩︎
- En application, du reste, de l’adage d’Héraclite situé en exergue de l’ouvrage : « Le Prince ne se cache ni ne se révèle : il signifie », puisqu’aussi bien, c’est l’époque où Plantard commence à jouer avec le thème du « Grand Monarque ». ↩︎
- « Si l’on prend Bourges comme centre conventionnel d’un zodiaque pour l’Occident, il est curieux d’observer la dispersion des treize roses symboliques de la rosace. On remarque en effet que trois points sont à égale distance de cette ville, formant le triangle hermétique des ’’trois têtes’’ : Jarnac, la porte de Saint-Jacques (en latin Jacobus) ; Montrevel, l’antre de la Mort, près d’Ars ; enfin Gisors, la porte du royaume de la Reine Blanche. ’’Forcer’’ ces trois portes, c’est parvenir à atteindre la double clef d’argent de l’Arche. » Comprenne qui pourra : c’est du Plantard ! Toujours est-il, en dépit de ce pompeux charabia, que son triangle des « trois têtes », comme on va le voir, et par la grâce technique de GoogleEarth, réserve de bien jolies surprises. ↩︎